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L'Avenir est dans l'Assiette blog d'Arnaud Daguin
30 octobre 2013

Carlotta. Liberation oct 2013

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Carlotta la carotte

Je voudrais raconter l'histoire de Carlotta une graine de carotte semée à la volée au milieu de graines d'autres espèces par une main enfantine sur un tas de feuilles en décomposition. C'est à la fois un jeu et un défi chaque année pour ce gamin de 8 ans de voir combien de graines sur les poignées jetées vont finir par donner ces racines de toutes couleurs dont il se régale sous tant de formes. Mais que fait il là ce gamin, il n'est pas à l'école? Il y va, à pieds et comme tous ces derniers matins, il en profite pour semer sur le chemin car c'est la saison.
Bordées de rangées d'arbres judicieusement choisis, d'aucuns pour les fruits d'autres pour le bois, tous pour les abeilles, les bandes de cultures sont protégées des aléas climatiques, irriguées par en dessous grâce aux racines de ces précieux voisins et prémunies contre trop d'évaporation par leur houppier. Jamais leur sol n'est à nu, l'eau qui tombe ici y reste et ne lessive pas la biomasse et l'énergie solaire ne tape jamais pour rien.
La faune y est extrêmement diversifiée et s'équilibre, pas de risque d'invasion dans un milieu aussi riche.
C'est un biotope presque autonome que ces 1000 m2 de profusion dans lesquels on ramasse, on cueille, on déterre et on fauche une quantité incroyable de végétaux et de bois. Un puit de carbone aussi stocké massivement par les arbres.

En stocker et ne pas en émettre, peu de tracteur, pas d'intrants issus du pétrole ou d'énergie fossile.

Bref, toutes conditions réunies pour que, sous le vol d'innombrables espèces d'insectes et d'oiseaux, notre Carlotta, une "grosse de Colmar" en l'occurrence, s'épanouisse dans un sol chaque année plus fertile, mais jamais fertilisé, entre deux rangs de ceps, surplombée de pêches de vigne. Elle grossit mais sans se gonfler d'eau au milieu d'autres espèces en concentrant tout un tas de sels minéraux et de micro nutriments donc de goût, sous l'œil distrait de notre galopin qui en a vu d'autres: "Celle la elle est bien jolie, bien dodue, je m'en vais la mettre avec ses copains les céleris, navets et autres radis au panier qui part demain."
Ce jardin là n'est pas isolé, il fait partie d'un bassin de production agricole en "nuage" fait de micro-exploitations familiales d'abord vivrières qui, pour une bonne partie d'entre elles, sont devenues très productives en quelques années. Ces lotissements sont le fruit du travail de la Fondation "Riches Terres". Forte de l'expertise et des connaissances recensées par ses membres et ses réseaux, elle a su extraire et développer en l'adaptant un corpus de pratiques agricoles simples et fortes reposant notamment sur l'agro foresterie et la permaculture. Les sols ainsi traités deviennent de plus en plus fertiles et riches de vie au cours des années, basculement majeur dans l'agriculture depuis le début du néolithique.

Les habitants de ces lopins, ne sont pas tous producteurs professionnels, ils résident dans des maisons en paille à énergie positive, leurs toilettes sont sèches, ils usent de l'eau mais en lagunent autant, produisent un peu d'électricité et énormément de végétal dont le bois d'œuvre et de chauffage.
Ils ne sont pas propriétaires mais usufruitiers de cette terre mais surtout ses protecteurs et s'ils ne peuvent pas spéculer dessus, ils peuvent produire autant qu'ils le veulent et transmettre cet outil de production ou le confier à d'autres. La plupart d'entre eux n'avaient pas de projet agricole en arrivant, ils étaient plutôt des réfugiés économiques, expulsés du système et promis à la "casse" trouvant dans ce nouveau mode de vie au moins la dignité de ne dépendre de personne et même d'être en responsabilité sur une parcelle de notre environnement.
La Fondation "Riches Terres" grâce aux travaux de ses collèges a collaboré activement à la mise au point d'une nouvelle famille de contrats ruraux permettant aux propriétaires fonciers et aux occupants potentiels de fonctionner ensemble sous le même cahier des charges.
Se prenant au jeu et bien épaulés par les plus anciens et les équipes de la fondation, nombre de ces néo-ruraux sont devenus de formidables producteurs.

Deux fois par semaine, ils confient leurs récoltes au chariot bi hebdomadaire.
Ce panier là, ainsi que des dizaines d'autres descend au pas du cheval vers la plate forme de conditionnement du quartier.
Un lavage à l'eau lagunée et un tri grossier plus tard, deux tas se forment, le "vivrier mutualisé" du quartier d'un côté, la "vente" de l'autre.
Beaucoup de ces fruits, légumes et produits carnés sont transformés sur le bassin même où savoir faire et recettes circulent. Ces activités de transformation, outre qu'elles sont créatrices d'emplois et de valeur ajoutée, contribuent à répandre la Culture de l'usage optimum des cultures.
Carlotta, une des plus belles carottes, fait partie d'un quota de légumes retenu chaque année par un pôle important de distribution alimentaire parisien le "Mont-Manger". Depuis quelques années et quelques soient les fluctuations du nombre de ses habitants, le bassin de production dont elle est issue assure mutuellement une quantité suffisante de légumes, œufs, produits laitiers etc, pour, contractuellement, satisfaire quelques clients en direct en sus du vivrier.
La Fondation R.T. a contribué largement à instaurer des modèles durables de mercuriales et d'anticipation contractuelles entre les deux extrémités de la chaîne qui, en se donnant de la visibilité, arrivent à optimiser les flux de production.
De fait, un cuisinier qui connaît bien les potentialités d'un bassin de production aura le soin d'en exploiter les ultimes ressources, de même qu'un groupe de producteurs connaissant bien les demandes et contraintes du même cuisinier peut infléchir sa production en fonction.
La Fondation assure une mission de formation et qualification pour les acteurs de ces filières quelques soient leurs rôles. Ainsi ils connaissent à minima les fondamentaux sur les vertus et les contraintes des produits qu'ils traitent.
De plus, ils apprennent à en tirer le meilleur parti en terme de nutrition ainsi que les possibilités de conservation.

La profusion est telle avec ce mode d'agriculture que le plus gros du travail réside dans les récoltes et le conditionnement plutôt que dans la culture elle même. Les bois d'œuvre et de chauffage, les produits apicoles mutualisés eux aussi suivent le même chemin.
Les bêtes issues des élevages agro forestiers participent à cette profusion.
Espèces indigènes et anciennes, parfaitement adaptées aux typicités de leur biotopes, ces animaux participent à l'équilibre et à la dynamique du milieu et profitent à plein de la diversité végétale et animale pour se nourrir idéalement et ainsi devenir eux mêmes sources de bienfaits.
Ainsi cochons, brebis, volailles sont inscrits dans ces paysages variés où, du sol à la cime des arbres, tout fait valeur et joue un rôle.
Leurs effluents font partie intégrante de l'équilibre du système, les arbres sont leurs abris et leur garde manger. Tous les animaux mangent de l'herbe!
Ils sont aussi dirigés vers des besoins identifiés à l'avance au sein de filières "intelligentes" en circuit non plus seulement courts mais "intimes" ou les projets et contraintes des uns sont connus des autres et où l'information circule dans les deux sens continûment.
Tous ces produits sont soumis à une certification graduée élaborée conjointement par la Fondation R.T. et Ecocert : l'Échelle de Riches Terres.
Évaluation d'un produit dans sa globalité et depuis son origine, l'Échelle de Riches Terres permet de présenter en plus du prix du produit, une notion de sa valeur en terme de biens communs, son impact total sur la collectivité qu'il soit environnemental, social, économique ou de l'ordre de la santé publique.
Chaque acheteur, privé ou public, professionnel ou particulier peut donc ainsi choisir, en fonction du mieux disant et non plus seulement du moins disant, les produits destinés à la consommation.

Notre gamin est à l'école où comme chaque semaine il va passer une partie de la matinée en cuisine. Tous les matins, quelques enfants assistent, parfois activement, à la préparation des repas. Ils apprennent ainsi à connaître la nature de ce qu'ils mangent et la Culture que nécessitent ces préparations.
La cuisine est ici enseignée comme une langue vivante, initiative de la Fondation R.T. Tous les produits issus de la biodiversité sont considérés comme le vocabulaire de cette langue, toutes les techniques de cuisson, de froid, de conservation de découpe etc. en constituent la syntaxe. Depuis leur plus jeune âge, ces gamins apprennent à reconnaître, choisir, goûter et transformer les ressources qui les entourent aussi aisément qu'ils apprennent à lire et à compter.
De temps en temps il y a des "battles" de goûter où les plus doués d'entre eux rivalisent joyeusement dans la conception des casse croûtes vespéraux.

Suivons donc Carlotta,
Elle arrive pimpante directement au garde manger des légumes du "Mont-Manger" à Paris.
Point de stockage au froid, point d'épluchage ou trempage à l'eau chlorée, ici on connaît ses produits, on en sait la valeur, on les respecte. Chacun des opérateurs au contact de notre carotte connaît sa force et sa fragilité, aucun des processus de cuisine employés ne portera atteinte à son capital nutritif ni à ses qualités organoleptiques.
Tous les employés de "la jeune rue" ont été formés et qualifiés par la Fondation R.T. Certains d'entre eux sont nés dans les "bassins de production" et ont suivi leurs beaux produits pour faire des études à Paris, d'autres sont d'horizons très différents mais au cours de leur formation, ils ont eu l'occasion de séjourner dans les "bassins" et d'appréhender la temporalité, la richesse et la fragilité de notre biosphère.

Carlotta est d'un calibre idéal pour composer un "carrot dog" street food végan servi dans une des sandwicheries du "Mont-Manger". Elle sera donc rôtie entière avec sa peau afin de concentrer au maximum son goût et donc ses nutriments. On la glissera toute chaude dans un petit pain d'épeautre badigeonné d'une mayonnaise végétale faite de purée de cajou, moutarde, lait de soja et huile de colza. Peut être sera t elle engloutie par un de ces enfants qui se dirigent vers le Fablab de la Fondation R.T. juste à côté, qui leur concocte une après-midi "qu'est ce qu'on mange?" consacrée à la confection des pâtes de fruit. Ou alors servira t elle de déjeuner à Christian Aguerre, venu de son Pays Basque pour présenter et vendre aux parisiens les beaux produits "sentinelles" dans le cadre du "petit marché instructif" qui se tient à deux pas sous la grande "Halle à manger".
Là, tous les jours, sont présentés et mis à la vente, bruts ou déjà transformés, des familles de produits dont on raconte tout de leur histoire, de leurs vertus et de leur potentiel. Ainsi en venant s'approvisionner en produits de cultures, les acheteurs repartent cultivés. Ils peuvent s'apercevoir qu'avant de mettre du curry sur du céleri rave, il est intéressant de savoir tout ce que ledit céleri peut donner par lui même.

Voilà donc l'histoire d'une carotte toute simple, bien élevée et très bien entourée.
Pour l'instant c'est encore de la science fiction mais....

To be continued.

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